
Faisant partie des Trente-six poètes immortels du Moyen-âge japonais ainsi que des Trente-six poétesses éternelles japonaises, Izumi Shikibu est une noble de l’ère Heian. Née dans les années 970, elle s’exerce à la poésie composée de tankas (chants japonais sans rimes en trois à cinq vers). Elle est une figure majeure de la littérature du XIe siècle par son jeu avec les codes poétiques de la Cour, ainsi que par son apport du Waka (genre poétique japonais désignant les poèmes longs et courts) à l’un de ses sommets. Par son statut, son sexe et son expression, Izumi Shikibu fut calomniée pendant des siècles. Il fallait attendre le XXe siècle pour que Yosano Akiko, poétesse et féministe, s’attèle à restaurer l’image de la noble Shikibu.
Les poèmes de Cour
Mélangeant clichés littéraires et expression personnelle, Poèmes de Cour fulgure parmi les milliers de voix gravitant autour du Waka japonais. Ces poèmes font sensation auprès de la Cour de Kyoto et les mœurs de la poétesse choquent les esprits traditionnalistes.
Les thèmes présents dans ce recueil ne sont pas là par hasard. Ils représentent et retracent la vie d’Izumi Shikibu de sa jeunesse à la perte de son enfant en passant par le mariage, la séparation et les liaisons amoureuses.
Des origines mystérieuses
Par le manque d’information et la difficulté à trier les légendes des faits, nul ne sait exactement l’enfance de Shikibu. Hormis le fait qu’elle soit née dans une famille de la moyenne noblesse et qu’elle soit une lointaine descendante impériale, rien ne nous informe de sa jeunesse. L’unique information à son égard, et selon ses propres poèmes, est que la jeune japonaise était une grande rêveuse.
Ma mère me réprimandait jadis
J’ai beau passer mon temps en rêveries
Personne n’est là pour me le reprocher.
Mariage et séparation
C’est en 999 qu’Izumi Shikibu épouse le bureaucrate Tachibana no Michisada, et qui peu de temps après donne naissance à une petite fille surnommée Koshikibu.
La poétesse, déjà connue pour ses talents en poésie, compose à ce moment l’une de ses plus célèbres pièces :
Venue par un chemin ténébreux
Je m’enfonce dans de plus ténébreux encore
Lune qui resplendit
A la pointe des monts
Daigne m’éclairer de loin.
Celle-ci s’adresse à l’abbé Shôkû, apparenté à son époux. La lune symbolisant le désir de Shikibu d’atteindre l’illumination, demande-t-elle sans doute au religieux de l’éclairer sur ses doutes amoureux. Même si, après cela, la jeune femme semble avoir développé une certaine affection pour son mari, elle est celle qui déclare leur rupture.
Les liaisons amoureuses
A la suite de sa séparation, Shikibu entame une relation avec le prince impérial Tametaka. Après la mort de ce dernier, la jeune femme se couche avec son cadet Atsumichi. Les liaisons de la poétesse avec ces deux princes vont défrayer la chronique de la Cour où tous s’épient et contribuent à donner à la poétesse une réputation de libertine. Suite à la mort de ce second amoureux, Shikibu décide de lui dédier des poèmes où elle lui exprime son chagrin sur un mode particulièrement lyrique, choisi qui est rare dans la poésie de Cour japonaise à l’époque.
Désœuvré, je contemple le ciel
Celui auquel je pense
Ne descendra pas pourtant des cieux.
Puisque terme il y a
Quittons cet habit couleur de glycine
Désormais je le porterai
Après l’avoir teint
Aux couleurs des larmes de sang.
La perte d’un enfant
La fille de Shikibu, Koshikibu, faisait elle aussi un peu de poésie. Elle rentre comme sa mère au service de l’impératrice en tant que femme lettrée. En 1018, elle donne naissance à un premier enfant et en 1025 meurt en accouchant d’un second. Sa mère se trouve très affectée par sa mort et ses poèmes frappant son deuil et son état d’esprit :
Partie en nous laissant
De qui avais-tu donc pitié ?
Certes, tu pensais bien plus à tes enfants,
Oui, bien plus à tes enfants.
J’entends dire que cette nuit
Reviennent les disparus
Mais tu n’es pas là
La demeure que j’habite
Est un lieu où les âmes ont du mal à vivre.
En conclusion
Par sa sensibilité peu commune, Izumi Shikibu parvient à se hisser au summum des poètes qui brillent au firmament. Elle est une figure moderne de son époque et mérite que l’on fasse parler d’elle.
SOURCES
- BENEZET Lise, Les « Cinquante poèmes » d’Izumi Shikibu : l’absence comme matière poétique, Université de Paris, 2021.
- REVON Michel, Anthologie de la littérature japonaise, des origines au XXe siècle, Librairie CII. Delagrave, 1910.
- SEIICHI Iwao et al., Izumi Shikibu, Dictionnaire historique du Japon, 1983.